Où voyez-vous des poissons ?

Cette fois-ci, elle nous donne à voir des poissons. Mais depuis quand se préoccupe-t-elle de poissons ? Non, elle est peintre et son souci est celui des peintres : créer un monde. Un monde à elle. Un monde encore jamais vu. Selon les voies de la peinture, par la création d’un espace et d’une lumière, où se confrontent des masses colorées, seules préoccupations du peintre. Chez Malargé les masses colorées – quelles soient cruches, pots, pommes, ou poissons – vivent ensemble. Jamais elles ne se heurtent, ne se mêlent, ne s’excluent. Toujours elles se respectent dans l’exploration d’une distance, lors d’effets de zoom, par lesquels elles se cherchent, s’approchent, se frôlent, se contournent, s’éloignent, jusqu’à ce que se mette en place ce vide idéal, médian, médiateur qui concilie, allie et noue le dialogue. Tout un monde et une manière d’être au monde…

Où voyez-vous des poissons là-dedans ?

Paul Fuks, Galerie Lee, Paris.

Texte de Diane de Margerie

Dans l’œuvre de Malargé, il semble que la pensée se fore un chemin à travers la matière.

Ainsi l’artiste part d’une série de pots avec leur motif bleu et rouge, épanoui et serein. Peu à peu, elle les dessine de plus en plus près, ne représente d’eux qu’un détail : la renflure du pot, ou sa courbe ou son anse, et l’objet se mue en plages charnelles, douces auréoles, sein, hanche ou flanc ; l’objet devient chair mouvante et la chair devient à son tour statique pureté, jusqu’au dernier stade de la vision : ventre bombé de la cruche devenu lumière blanche, délivrée de toute limite, pays de la transparence duvetée, pensée voluptueuse et pure – éclair – non plus forme mais surface traversée. Ou bien, en une autre démarche, Malargé s’insinue à l’intérieur de la forme, pénètre l’objet progressivement à travers son ouverture, son couvercle, comme à travers une oreille mais de là l’objet repart, reprend vie comme si à partir de son bord, à travers sa béance qui exige, qui attend, on basculait tout à coup dans l’illimité du dedans. C’est un univers où les frontières entre l’objet et le corps sont abolies sans que l’on puisse jamais définir l’instant où l’inanimé s’anime, et la merveille est que la plume de Malargé excelle à restituer le mystère de la vie et de la pensée dans ce qu’elles ont de plus fuyant, de moins visible : leur déroulement.